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Poèmes
Prélude imaginaire autour du Fort
Dans le silence qui emprisonne
toute la vallée, la nuit vient de tomber. Alors, tout doucement, le ciel se
laisse envahir d’un long manteau d’étoiles.
Au loin, blottie dans le
paysage, la citadelle ouvre les portes de son rêve… en un instant, elle offre
au vent ou à la pluie la mélodie fragile de l’ombre et de la lumière.
En d’autres lieux, d’autres
temps, il y avait souvent des marchands ambulants qui passaient le long des
cluses. Ils vendaient à bas prix leurs maigres récoltes, leurs bêtes devenues
trop chétives. Après de longues heures
de marche, ces hommes aimaient venir se réfugier à l’abri des rochers, pour
dormir un peu, reprendre courage. Parfois, les colporteurs partageaient leurs
nuits avec des mendiants, pauvres hères vêtus de presque rien, fuyant sans
cesse leurs vies de misère. Tout au long des nuits sans lune, ils se
réunissaient là pour parler de leurs vies. Alors, en un instant, marchands et
miséreux devenaient bâtisseurs de cathédrales pour l’avenir, inventant des
demeures joyeuses où leurs enfants joueraient libres et tranquilles, où leurs femmes chanteraient,
heureuses et apaisées. Puis, avant de dormir , ils aimaient à se bercer de ces
rires et de ces voix si familières. Enfin, au petit matin, colporteurs et
mendiants se quittaient tout au bas de la route, chacun reprenant son chemin.
En d’autres lieux, d’autres
temps, filles et garçons sont venus graver leurs prénoms sur le premier arbre
du sentier. Ces jeunes s’émerveillaient alors de leurs rondes un peu folles, de
leurs cris, puis ils disparaissaient dans la poussière de leurs pas, et il en
venait toujours d’autres, et encore d’autres.
Et le chêne a tout gardé dans
son ventre, ne donnant rien au vent, même au plus fort des orages et des
tempêtes, lorsque les branches, devenues presque libres, tentaient de tout
briser, de tout dire. Et comme le chêne, la citadelle a imprimé en elle visages
et sourires, comme autant de regards sur le monde, pour demeurer dans
l’insouciance et la fragilité de la jeunesse. Puis le temps a passé, garçons et
filles ont grandi, et ne sont plus jamais revenus chanter dans les murailles.
En d’autres lieux, d’autres
temps, des milliers d’oiseaux de passage se sont réfugiés au creux du rocher.
Parfois même, des cigognes trop lasses, épuisées par de longs voyages, ont construit tendrement leurs nids tout en
haut des tours. Alors, en un instant, la citadelle toute entière résonnait
de battements d’ailes et d’appels
d’oiseaux, de ces naissances, comme autant de printemps improvisés. Puis, un
beau jour, l’oisillon ouvrait ses ailes et s’élançait dans l’espace, pour
rejoindre d’autres contrées plus arides, plus lointaines. Parfois, les
murailles racontent des récits venus d’ailleurs, là où les couleurs se
métamorphosent au gré de la lumière changeante.
Plus loin, le fleuve gronde
encore et n’en finit jamais de se jeter dans la mer. Bien calés dans leurs péniches,
les mariniers se laissent bercer et n’ont plus peur des nuits de leur enfance,
car ils ont réalisé leurs rêves de voyage. Chaque matin, ils offrent à l’air du
large leurs sourires, leur force, et leurs éclats de voix résonnent jusque dans
les marécages.
En voguant sur le fleuve, les
mariniers accomplissent tout au long de l’eau, le vœu de leurs ancêtres. Pour
les marins, le plus grand secret du fleuve se trouve dans le brouillard, puis
dans le jaillissement de la lumière, lorsqu’une étincelle vient dissiper peu à
peu l’écharpe des ténèbres. Et le fleuve aussi emporte ses secrets, comme
autant de trésors …
En d’autres lieux, d’autres
temps, le paysage n’était qu’une chanson. Alors, le troubadour pouvait créer sans cesse, jouant sur une
partition pleine de noblesse. Chaque matin, au lever du soleil, il
bondissait de rocher en rocher, et ses notes résonnaient dans la vallée
pour l’éveiller d’une mélodie sans âge. Sur les pages d’un livre blanc, le
poète réinventait un instant le monde, délaissant les morceaux trop sombres,
pour semer un peu de rêve, de paix et de lumière.
Danielle Beaufils
Novembre 2001

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